Les tiers peuvent désormais exercer un recours en résiliation du contrat administratif

Dans un arrêt du 30 juin 2017, le Conseil d’Etat opère une nouvelle avancée en matière de contentieux contractuel.

Rappelons que dans le cadre de deux arrêts d’assemblée, le conseil d’Etat a d’abord ouvert un recours de pleine juridiction en contestation de la validité des contrats publics à toute personne justifiant d'un intérêt à agir (CE, ass., 16 juill. 2007, n° 291545, Sté Tropic Travaux signalisation et CE, ass., 4 avr. 2014, n° 358994, Département de Tarn-et-Garonne). Tout tiers à un contrat administratif « susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est ainsi recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles » ( extrait CE, ass., 4 avr. 2014, n° 358994, Département de Tarn-et-Garonne).

Cette révolution avait épargné les recours exercés contre les actes détachables de l'exécution du contrat administratif, au premier rang desquels figure le refus de résilier le contrat.

Ceux-ci étaient demeurés dans le giron du juge de l'excès de pouvoir (v. par exemple CE, 24 avr. 1964, SA Livraisons industrielles et commerciales). Les tiers à un contrat public en cours d'exécution ne pouvaient donc remettre en cause son existence que de manière détournée et complexe :

  • Le juge de l'excès de pouvoir ne peut en effet agir directement sur le contrat, ses pouvoirs se limitent à l'annulation de l'acte contesté, et l'illégalité d’un acte ne préjuge en rien de la nullité du contrat lui-même.
  • Aussi, bien qu’ayant obtenu l’annulation de l’acte détachable, le requérant devait encore dans le cadre d’une seconde requête, demander au juge qu’il enjoigne à l'administration de résilier ou, en cas d'irrégularité particulièrement grave et à défaut de résolution amiable, saisir le juge du contrat, seul habilité à prononcer la disparition rétroactive dudit contrat.

Le Conseil d'État ouvre une brèche dans ce dispositif. Poursuivant son entreprise de simplification du contentieux contractuel, il autorise les tiers à saisir directement le juge de plein contentieux d'une demande de résiliation, imposant toutefois à ce recours des conditions restrictives :

  • La liaison du contentieux

Le requérant doit d’abord lier le contentieux et en conséquence avoir demandé en vain la résiliation du contrat auprès de l'administration. La décision de refus marque alors le point de départ d’un délai de 2 mois imparti pour l'exercice du recours, conformément aux règles de droit commun prévues par le Code de justice administrative (CJA, art. R. 421-1, al. 1er).

  • Un requérant lésé dans ses intérêts ou garant de l'intérêt général

Deux catégories de tiers justifiant d'un intérêt à agir peuvent exercer le recours, dans des conditions similaires à celles prévues dans le cadre d'un recours « Tarn et Garonne » :

  • Les premiers ne sont recevables à exercer un recours que s'ils démontrent que le refus opposé par la personne publique à leur demande de résiliation lèse leur intérêt de façon directe et certaine.
  • Les seconds forment une catégorie privilégiée qui est dispensée de justifier l'existence d'une lésion mais qui ne peut agir que si le contrat a été conclu par une collectivité ou un groupement de collectivité. Elle est constituée du préfet et des membres de l'organe délibérant de la collectivité ou du groupement contractant.
  • Des moyens invocables strictement encadrés

Le Conseil d’Etat limite les moyens susceptibles d'être invoqués. Le Conseil d’Etat énonce que :

« les tiers ne peuvent utilement soulever, à l'appui de leurs conclusions tendant à ce qu'il soit mis fin à l'exécution du contrat, que des moyens tirés

  • de ce que la personne publique contractante était tenue de mettre fin à son exécution du fait de dispositions législatives applicables aux contrats en cours,
  • de ce que le contrat est entaché d'irrégularités qui sont de nature à faire obstacle à la poursuite de son exécution et que le juge devrait relever d'office
  • ou encore de ce que la poursuite de l'exécution du contrat est manifestement contraire à l'intérêt général ; »

Précision importante, le Conseil d’Etat ajoute que les requérants peuvent se prévaloir « d'inexécutions d'obligations contractuelles qui, par leur gravité, compromettent manifestement l'intérêt général ».

Les irrégularités de forme sont en revanche expressément exclues : « qu'en revanche, ils ne peuvent se prévaloir d'aucune autre irrégularité, notamment pas celles tenant aux conditions et formes dans lesquelles la décision de refus a été prise ; »

En tout état de cause, quel que soit le moyen invoqué, il doit être en rapport direct avec l'intérêt lésé dont se prévaut le requérant, sauf pour les recours exercés par le préfet ou par un membre de l'organe délibérant d'une collectivité, qui sont réputés agir au nom de l'intérêt général.

  • Un office du juge élargi

A la différence du juge de l'excès de pouvoir, le juge saisi d'un recours en résiliation doit se prononcer non sur la validité d'un acte administratif, mais sur la cessation de l'exécution du contrat. Cette décision suppose de confronter les motifs invoqués à l'appui de la demande de résiliation et l'intérêt général qui serait susceptible de justifier son maintien. Aussi, la constatation d'une irrégularité n'implique donc pas nécessairement que le juge mette fin au contrat.

Dans cette décision très encadrée, la Haute juridiction affirme son souci d’un équilibre - déjà recherché dans les jurisprudences Tropic et Tarn et Garonne - entre le besoin de simplification des voies de recours pour les tiers et la nécessaire stabilité des relations contractuelles.

CE, sect., 30 juin 2017, n° 398445, Syndicat mixte de promotion de l’activité transmanche

Lundi, 18 Septembre, 2017 - 18:16